Catégorie : …de recension d’écrits

Le problème à trois corps

Liu Cixin

J’ai vu les trois premiers épisodes et j’aime beaucoup la série. Bien que les auteurs aient pris quelques libertés par rapport au roman, dont l’histoire se déroule principalement en Chine, la dynamique générale et les interactions restent fidèles au livre. Les événements clés du roman de Liu Cixin y sont également présents.

L’histoire commence pendant la Révolution culturelle chinoise, où Ye Wenjie, astrophysicienne et fille d’un scientifique renommé, est envoyée dans un camp de travail après le meurtre ignoble de son père. Par la suite, elle est affectée à une station de radioastronomie. C’est là qu’elle capte un message extraterrestre provenant du système Alpha Centauri, Trisolaris. Ye Wenjie se retrouve alors déchirée entre l’espoir d’un contact avec une civilisation extraterrestre et la crainte des dangers potentiels que cela pourrait représenter pour l’humanité. Après réflexion, elle décide de répondre au message, convaincue que l’humanité ne peut pas ignorer une telle opportunité. Mais sa décision est aussi motivée par sa haine envers l’humanité, qu’elle juge corrompue et vouée à la destruction, et par l’espoir que les extraterrestres pourront apporter une solution aux problèmes de la Terre. Cette décision met en lumière les questions éthiques et philosophiques soulevées par le contact extraterrestre. « Le Problème à trois corps » explore en profondeur les conséquences du choix de Ye Wenjie.

L’histoire nous présente également une civilisation extraterrestre du système stellaire Alpha Centauri, Trisolaris. Ce système est soumis à un chaos gravitationnel permanent, car il est composé de trois soleils, rendant la vie sur les planètes très inhospitalière. Face à ce chaos, les Trisolariens cherchent un nouveau foyer et considèrent la Terre comme une destination possible. Le jeu vidéo « Trois Corps » joue un rôle crucial dans l’intrigue. C’est un jeu de réalité virtuelle immersif qui permet aux joueurs de vivre sur Trisolaris, une planète à trois soleils où les lois de la physique diffèrent de celles de la Terre. Le jeu est utilisé par le gouvernement pour identifier les personnes ayant des capacités scientifiques et intellectuelles exceptionnelles. À mon avis, il peut également être perçu comme une métaphore de la communication et de la compréhension entre différentes cultures.

Je n’en dis pas plus.

Je recommande vivement cette série de hard science-fiction (c’est-à-dire que les événements et les phénomènes sont expliqués par des lois scientifiques et non par des éléments surnaturels ou mystiques). Liu Cixin a reçu le Prix Hugo pour ce roman à sa sortie.

La tentation d’Aladin

de Léon Ouaknine

Il y a un an, j’ai eu le bonheur de lire l’excellent roman de science-fiction philosophique « La tentation d’Aladin » de mon ami Léon Ouaknine. Le développement rapide de ChatGPT remet ce livre en plein dans l’actualité.  Les enjeux inhérents à la problématique d’une IA hyper-intelligente, les réflexions, les craintes et les emballements de certains, les avancées incroyables qui en découlent, intéresseront de nombreux lecteurs et lectrices. Vous serez surpris de constater à quel point Léon Ouaknine avait vu juste par rapport à cette problématique devenue réalité. En plus de nombreuses réflexions sur ce thème, vous y trouverez également plusieurs idées novatrices.

Lors de notre dernière rencontre, j’ai refilé le roman de Léon à ma chère amie Irène Durand en lui demandant de m’écrire ses commentaires. Je vous les présente ici, sur mon blogue, en espérant qu’ils feront naître en vous suffisamment d’intérêts pour ce livre agréablement de son temps.


La tentation D’ALADIN

Commentaires de Irène Durand

Ma chère Danielle, j’ai lu le livre de Léon Ouaknine. Je le classerais dans la catégorie science-fiction philosophique.

Comme je connais Ouaknine par ses pages Facebook, j’ai eu peu de surprises. Je connaissais sa vaste érudition, ses riches expériences de vie et son audace pour exprimer ses positions politique et anti-religion. Cependant, je ne savais pas qu’il avait cette vision apocalyptique de l’avenir. Hélas! Il a probablement raison.

J’ai lu récemment L’Algoritme de Rebecca du Québécois Christophe Roux-Dufort. Ce livre traite de l’incroyable IA créée par une Québécoise, prix Nobel et adepte d’une secte. Ce thriller, du style Da Vinci Code, nous révèle dans le dénouement que c’est l’Église catholique qui cherchait par tous les moyens à s’approprier cette IA nommée Transparence. Ceci pour dire qu’il y a sans doute des « pattern » dans la science-fiction, mais je ne suis pas spécialiste du genre.

En fait, j’ai davantage saisi le roman de Ouatkine comme un essai présenté sous forme de science-fiction. Les réflexions philosophiques sur la liberté, la conscience, le libre arbitre, la volonté, etc., ainsi que les mécanismes biologiques reliés aux émotions et à l’irrationalité m’étaient familiers, de même que les mécanismes politiques concernant la nature de l’homo sapiens.

En fait, le narrateur apparaît comme un professeur qui explique très bien les problématiques reliées au sujet principal: comment sauver l’humanité de la catastrophe écologique. Le ton est un peu aride pour un roman. Les premières surprises: l’héroïne d’une hyper-intelligence, co-conceptrice de Prométhée, choisit de donner naissance à l’ancienne. La deuxième surprise c’est la méthode proposée pour économiser l’énergie et permettre la survie de l’espèce: transformer les humains en chlorophylliens. J’ai aimé cette idée. Quant à l’ascenseur spatial créé grâce à Prométhée (la Supra-Intelligence), c’est plus qu’une métaphore du succès de l’exploration spatiale, qui ne suscite aucune critique sociale. En fait ce sont les réflexions qui en découlent qui ont de l’intérêt.

Finalement, il n’y a pas d’acceptation sociale pour les terriens qui tournent au vert: les chlorophylliens. La révolte s’installe, émoustillée par l’alliance des trois grandes religions de l’Occident qui ne peuvent admettre que Prométhée soit dans le plan DIVIN. Ce conflit idéologique permettra quelques scènes d’actions.

L’auteur revient souvent sur la notion de rationalité. Il réfléchit, à travers ses personnages, à l’hypothèse de rendre les terriens super intelligents, comme le fils « miraculé » des créateurs de Prométhée. Finalement, il ne semble pas que ce soit une solution parce que ceux-ci seraient en compétition tant qu’ils conserveraient leur nature humaine. Le combat hiérarchique pour la dominance semble profondément inscrit dans la biologie humaine.

Bref, ce livre suscite plus de questionnement qu’il n’apporte de réponses, tout en donnant beaucoup d’informations et de réflexions philosophiques et scientifiques. La conclusion c’est qu’il faut continuer à rouler sa roche comme Sisyphe puisque l’avenir est une montagne d’incertitudes malgré toutes nos connaissances. En fait, l’auteur parle des abeilles qui se sont mises à voler alors que cela n’était pas leur vocation.

L’actuelle révolution concernant l’Intelligence Artificielle rend ce livre plus actuel que jamais. Pour les amateurs et amatrices de ce genre de réflexions.

On pourrait penser qu’il y aurait une suite.

I.D.   

Le Mage du Kremlin

de Giuliano da Empoli

Je termine la lecture d’un magnifique roman, « Le Mage du Kremlin », écrit par le politologue et essayiste italien Giuliano da Empoli. Ce roman, basé sur des faits réels, est très instructif sur le pouvoir en Russie et nous aide à comprendre comment on en est arrivé à cette guerre effroyable en Ukraine. Vadim Baranov, librement inspiré de l’ancien conseiller de Poutine, Vladislav Sourkov, se confie à un jeune étudiant. Passionné de livres et amoureux de la culture occidentale contemporaine, à l’instar de son grand-père à l’époque tsariste, Baranov, le mage du Kremlin, retrace certains événements importants des dernières années et analyse pourquoi « la domination brutale de Poutine fonctionne sur le peuple russe ».

À la fin du communisme, les Russes vivaient dans une sorte de « Far West » démocratique où les oligarques dominaient dans tous les domaines du capitalisme et de la politique. Jusqu’à ce qu’ils comprennent enfin que cette situation ne leur était pas favorable : l’éclatement du pouvoir, la criminalité, les taux de suicide élevés, le désarroi du peuple. « Les Russes avaient une patrie, ils se retrouvent avec un supermarché ». Sans réellement savoir ce qui les attendait, croyant avoir trouvé la marionnette idéale, les oligarques ont donné les clés du pouvoir à un parfait inconnu, Vladimir Poutine, alias le Tsar, dictateur et mégalomane solitaire qui « a une écharde de glace dans le cœur » et qui vit la nuit.

« Le Mage du Kremlin » est un roman réaliste, superbement écrit. C’est un livre dont tu te dis : ah! celui-là est différent! Un livre où la culture domine et dont la fin ne laisse malheureusement aucun espoir. L’auteur écrit : « Grand-père disait que tôt ou tard, quelqu’un devrait ramasser toutes les statues équestres éparpillées dans toutes les villes du monde et les expédier au milieu du désert, dans un camp dédié à tous les massacreurs de l’histoire. » Au mépris des « wokes », ces déboulonneurs de statues et censeurs d’histoires, artisans de l’oubli collectif, l’auteur oppose la connaissance et l’analyse des faits. À la fin, il se veut également visionnaire en tentant de démontrer ce qui, pour lui, devient une évidence : l’émergence d’un pouvoir encore plus absolu, celui des robots : « Il faudrait toujours regarder l’origine des choses. Toutes les technologies qui ont fait irruption dans nos vies ces dernières années ont une origine militaire. Les ordinateurs ont été développés pendant la Deuxième Guerre mondiale pour déchiffrer les codes ennemis. Internet comme moyen de communication en cas de guerre nucléaire, le GPS pour localiser les unités de combat, et ainsi de suite. Ce sont toutes des technologies de contrôle conçues pour asservir, pas pour rendre service. Seule une bande de Californiens défoncés au LSD pouvait être assez débile pour imaginer qu’un instrument inventé par des militaires se transformerait en outil d’émancipation. Et ils ont été nombreux à le croire », écrit-il. Mais, sur ce point, il n’apporte aucune analyse.

Cette fin, abrupte et sans concessions, aurait mérité une analyse plus complète et éloignée des dérives actuelles.

À lire pour tout ce que ce roman apporte de clarté à l’histoire que l’on connaît déjà : celle du pouvoir en Russie. Et pour la beauté de la langue.


La littérature pour mieux comprendre la guerre en Ukraine

Malgré les quelques connaissances que nous avons, il est difficile de faire le point sur la guerre en Ukraine. Le plus important, me semble-t-il, est tous ces gens qui soudainement subissent le choc de l’exil en abandonnant leurs maisons, leurs familles, leurs amis…, ces êtres humains, qui souffrent et qui meurent, et cela, directement sur nos écrans, dans l’indifférence quasi totale. Être informé, voilà tout le défi. Oh, oui! Bien sûr, on s’indigne, on se cultive et on écrit!

Le besoin de voir et de comprendre les raisons de ce conflit nous plonge, avec discernement, espère-t-on, dans des lectures ciblées et des reportages où l’on apprend, de part et d’autre, les « raisons » historiques de ce conflit. L’esprit critique devient alors nécessaire afin d’éviter la propagande de guerre des deux côtés; absorber ces informations, mais surtout, revenir à l’histoire de ces peuples afin de mieux comprendre les enjeux.

Des pans de l’Histoire de la Russie et de l’Ukraine ne nous sont pas tout à fait inconnus. Ce billet a pour but premier de parler littérature; ces romans d’auteurs russes, ukrainiens et autres qui m’ont bouleversée et dérangée :

« Vie et destin » de Vassili Grossman, une fresque monumentale qui fait revivre l’URSS en guerre à travers le destin d’une famille russe;

« Famine Rouge » de Anne Applebaum, raconte la famine meurtrière qui frappa l’Ukraine au début des années 30;

« Le malheur russe : Essai sur le meurtre politique » de Hélène Carrère d’Encausse – les épisodes tragiques de l’Histoire de la Russie;

« Terres de sang » de Timothy Snyder – meurtres politiques de masse pendant la Seconde Guerre mondiale;

« Le village » de Dan Smith – Ukraine, 1930 – l’arrivée des activistes envoyés par Staline pour réquisitionner les hommes et les terres;

« La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement » de Svetlana Aleksievitch – les témoignages et les propos d’ex-Soviétiques sur les changements sociaux brutaux qu’ils ont subis, avec la fin de l’URSS.

Quelques nouveautés qui me paraissent intéressantes :

  • « Les abeilles grises » de Andreï Kourkov, raconte la guerre, celle qui sévit depuis bientôt huit ans, dans le Donbass, entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses soutenus par Moscou. – Sorti juste avant le début de l’invasion par la Russie.
  • « Les loups » de Benoît Vitkine : thriller politique dans lequel l’auteur parvient à éclairer toute la complexité de la situation ukrainienne depuis l’écroulement de l’URSS en 1991.

Bonne lecture!

Ni d’ici ni d’ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi.

de Léon Ouaknine

J’ai connu Léon Ouaknine, il y a à peine quelques mois, lorsqu’il m’a proposé la lecture de son manuscrit de science-fiction « La tentation d’Aladin » qui sortira prochainement. En le lisant, je pris immédiatement conscience que cet homme possédait une immense culture, littéraire, philosophique et scientifique. Enthousiaste, je me suis plongée totalement dans un roman qui fait réfléchir; une science-fiction philosophique, du genre  « Le meilleur des mondes » de Aldous Huxley. La plume de Léon est d’une grande qualité littéraire, doublée d’une analyse philosophique exceptionnelle. À l’époque, je ne connaissais pas son histoire familiale ni son parcours professionnel atypique.

C’est en lisant « Ni d’ici ni d’ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi », que j’ai appris à mieux connaître mon nouvel ami. Son autobiographie se lit comme un roman. Je dois avouer que j’ai été agréablement surprise par la qualité de sa narration, alternant souvenirs et réflexions. Léon ne raconte pas seulement sa vie, à travers des épisodes et des anecdotes, il l’analyse aussi. Né d’une famille juive marocaine, « rigide et limitée« , écrit-il, Léon porte un regard aigu et sans complaisance sur son enfance. En 1947, alors qu’il avait 5 ans, la famille quitta Casablanca pour Israël, « un pays qui n’existait pas encore » et où ils demeurèrent à peine 19 mois, « se retrouvant seuls pour affronter la discrimination à l’encontre des mizrahi« . Son père décida alors d’aller vivre en France. La France, pays de liberté, ouvrit « les portes des Lumières » au jeune Léon.  Athée convaincu, il deviendra un « enfant des lumières« , mais demeurera toute sa vie, « divisé entre deux mondes » : juif et français.

« Ce n’est que des années plus tard que je réalisai que mes parents n’avaient qu’une part de responsabilité dans mon incapacité à être bien dans ma peau ; qu’une deuxième part était imputable aux autres cartes qu’on m’avait distribuées à la naissance, entre autres, ma génétique et qu’une troisième part, circonstancielle, fut le fait d’avoir été élevé en France, plutôt qu’au Maroc ou en Israël. La conjonction de ces trois aléas fut déterminante quant à ma vision du monde, de ma façon de penser et d’agir. J’étais français sans l’être vraiment, juif sans l’être vraiment et pourtant j’étais intensément français et intensément juif. Écartelé, je choisis d’être en même temps juif et enfant des Lumières, en pressentant et en acceptant que je ne serais jamais tout à fait à ma place, nulle part. » 

Les pans de sa vie qu’il relate souvent avec tristesse et parfois même avec morosité, nous dévoilent de nombreux souvenirs de lui et de ses proches, liés à son enfance. Les années qu’il passa en France lui firent découvrir « l’immense distance entre la façon insulaire et craintive de vivre de mes parents et l’exubérance du monde que je découvrais.« 

Léon arriva à Montréal en juillet 1968, à l’âge de 26 ans, « avec un visa de touriste et 70$ en poche pour tout viatique« .  Sa carrière nous en apprend beaucoup sur les communautés juives de Montréal, leurs services sociaux et de santé, leur philanthropie, les frictions linguistiques entre ashkénazes et séfarades, le début des CLSC, le premier Institut universitaire de gérontologie sociale et bien d’autres projets dont cet homme infatigable fut le créateur, le directeur et le promoteur. Il fut également un « observateur attentif » d’un Québec « en pleine affirmation identitaire« , qui devait « protéger sa culture et sa langue, alors que la communauté juive anglophone craignait, par-dessus tout, de voir un groupe ethnique confisquer le pouvoir, et peut-être faire éclater le Canada« . Quel plaisir ce fut d’apprendre qu’il s’opposa fortement et publiquement au « brulôt » anti-québécois francophones de Mordecai Richler. Sans hésiter, je dirais que « Ni d’ici ni d’ailleurs » devrait faire partie des livres d’Histoires du Québec et de Montréal.

« Ni d’ici ni d’ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi », de Léon Ouaknine est une autobiographie iconoclaste écrite avec franchise et rigueur. Son identité, ses convictions personnelles, sa vision du monde, sa grande sensibilité, si bien exprimée à travers ses mots, nous convient à une lecture passionnante et enrichissante.

« Quoi qu’on fasse, l’identité n’est pas un simple masque qu’on endosse en sortant de chez soi, c’est une dimension inhérente au cerveau primitif, une propriété émergente de l’être, issue de processus mentaux, mais fondamentalement hors de portée des prescriptions de la raison. » 

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