Catégorie : …de vie

Demande d’excuses ?

À partir de l’âge de 4 ans, j’ai fréquenté quelques pensionnats, et cela pendant douze ans. Je peux dire qu’il y avait, dans ces milieux religieux, de bonnes et de mauvaises personnes. Cependant, ce qui me frappe, devant les demandes des Autochtones, c’est qu’aucunes de nous n’avons pensé demander des excuses pour les maltraitances ou sévices moraux et physiques que parfois les sœurs nous faisaient subir. Je me contente de vous citer deux exemples qui m’ont marquée à jamais :  

Toutes petites, nous avions une peur terrible des orages, surtout pendant la nuit. Pourquoi, me demanderez-vous? Parce que pendant ces nuits effrayantes, les sœurs passaient de cellule en cellule, priant très fort, tout en nous aspergeant d’eau bénite. Réveillées, nous tremblions de tous nos membres, la peur au ventre, espérant que le diable nous laisse enfin tranquille.

Le pape Pie XII (ce pape qui affectionnait Hitler et les nazis) étant tout près de la mort, les sœurs manipulaient nos jeunes esprits, en nous suggérant fortement de porter le cilice, ces ceintures, bardées d’épingles ouvertes que nous attachions autour de notre taille, à l’intérieur de nos vêtements et qui s’incrustaient douloureusement dans nos chairs. D’autres se promenaient des jours entiers avec des roches dans leurs souliers.

Et ce ne sont pas les seules horreurs que nous avons vécues, nous aussi, enfants blancs, confiés par nos parents blancs, dans des pensionnats dirigés par les communautés religieuses de l’époque.

Devrions-nous aussi demander des excuses ?  Vous me direz que ce n’est rien comparé à ce qu’on subit les enfants autochtones. Qu’elles n’ont pas tenté de détruire notre culture. Mais que savons-nous vraiment de ce qu’elles ont détruit en nous ? À ma sortie du couvent, à l’âge de 16 ans, je changeais de trottoir lorsque je les rencontrais dans la rue.

Mon compagnon de vie

Son départ m’a plongée dans une affliction si intense, qu’il m’a fallu 6 mois avant de le partager sur ce blogue. Voici ce que j’ai écrit au lendemain de son décès:

Le 10 mai 2021

Mon grand amour nous a quittées hier soir. Il est décédé à la maison, dans son lit, dans mes bras et dans les bras de France, sa fille chérie. Ses souffrances n’auront duré que quelques instants. Il est parti comme il le souhaitait, sans acharnements thérapeutiques.

Roger était un athée convaincu et un grand humaniste. Il a fait des études en philosophie et a été l’un des cofondateurs de la Libre Pensée québécoise, un fait ignoré par plusieurs qui le connaissait pourtant bien. Il a été l’un des conférenciers de la Libre Pensée québécoise, au congrès des humanistes d’Amérique du Nord en juin 1987 à Montréal. Il a aussi écrit plusieurs textes et éditoriaux dans la revue de la Libre Pensée. L’un de ses articles au sujet de l’écologie avait même attiré l’attention d’Henri Laborit. Il en était très fier. Nous partagions avec bonheur nos pensées philosophiques, notre amour des livres et nos luttes pour l’indépendance, la laïcité et le féminisme.

C’était un homme d’exception, un être généreux, ouvert, sociable, réaliste, spontané, attentif aux autres, protecteur, fier et toujours calme… Un artisan doué. Un excellent cuisinier. Il aimait la vie et le monde l’aimait. Il m’avait choisi, moi, sa reine, sa chérie, sa compagne.

Un jour, mon amie Monique me disait qu’il m’avait beaucoup gâtée. En réalité, il m’a beaucoup aimée. Et je porterai toujours fièrement son amour dans mon cœur.

Je penserai toujours à lui en lisant un bon livre, en arrosant mes plantes ou en fumant mon joint….

Il me manquera toujours.

Hommage à ma maman!

Un an déjà ! Un an de questionnements, de recherches et d’incompréhension. Un an pour enfin accepter que je ne connaitrai  jamais toutes les raisons qui ont conduit ma mère biologique à m’abandonner. Je suis triste à l’idée de ne pas avoir pu la serrer dans mes bras et lui dire «je comprends » et « je t’aime ».

À l’âge de 17 ans, Clairette, la fiancée de mon frère André, passait la nuit à la résidence familiale, lorsqu’elle fut brutalement violée par mon père, alors âgé de 50 ans. Il étouffa ses cris avec un oreiller pour l’empêcher d’ameuter les autres qui dormaient à l’étage. Quatre mois plus tard, elle se mariait avec André. On ne peut qu’imaginer ce qui s’est passé pendant ces quatre mois.

Ma maman était une très belle femme : les pommettes hautes, le sourire large et le regard éclatant d’intelligence. Je montrais fièrement ses photos à mes amis. Elle était ma belle-sœur et ma marraine et jamais je n’aurais pensé qu’elle était également ma maman. Pendant mon enfance, nous étions ensemble aux fêtes de Noël et de Pâques. Je passais les deux mois de mes vacances d’été en sa compagnie et celle de mes neveux, Michel et Claude, qui en réalité étaient mes frères. J’ai encore en mémoire quelques-un de ces moments heureux: les pièces de théâtre que nous montions, les chaises bien alignées et les draps blancs attachés sur des cordes à linge, les récitations et les éclats de rire de mes « neveux », nos marches quotidiennes vers le camp de jour que nous fréquentions tous les trois, nos balades en canot dans les rues de Pointe-Calumet, lors des inondations. Et surtout, ces flashs qui me reviennent de nos après-midi à la plage :  Clairette avec son panier de sandwichs et de biscuits et cet horrible jus d’orange; Clairette, retirant une à une, avec du sel, les sangsues qui couvraient mes jambes; Clairette, étendue sur sa serviette, le corps bronzé, souriante et heureuse…

Lorsque j’eus 9 ans, mon père décéda et quelque temps plus tard, André m’empêcha impérativement de la revoir. Je ne compris pas ses véritables raisons, croyant sa nouvelle femme jalouse de nos rencontres (il y avait aussi de ça). À 16 ans, défiant son interdit, je me rendis à Montréal pour renouer des relations avec elle et avec mes neveux et j’en subis les conséquences. Ce fut la dernière fois que je la vis.

Sortant à peine de l’enfance, ce viol atroce qu’elle a subi, la perte de son premier enfant, les reproches mal dirigés de mon frère, la déclarant coupable au lieu de la voir comme une victime, ont détruit ses rêves et tous ses espoirs. Les menaces constantes lui ont pourri la vie. S’enivrer devint la seule voie pour oublier. Atteinte d’un cancer, Clairette est décédée à New York à l’âge de 51 ans. Un peu avant de mourir, elle confia à son fils Claude que j’étais sa sœur et lui demanda de me retrouver, mais de ne surtout pas en parler à son père. Au seuil de la mort, elle craignait encore pour sa vie. Malheureusement, personne n’a cru mon neveu et ceux qui étaient au courant sont restés muets. 

Sauf notre tante Jeannine, la sœur de maman. À la suite d’un AVC qui lui laissa quelques séquelles, et craignant de mourir en emportant avec elle ce lourd secret, elle consulta un psychologue, qui l’encouragea fortement à tout nous raconter. Avec délicatesse et émotions, elle nous apprit la triste histoire de ma naissance. Ces révélations ont remis à jour mon identité et déconstruit les mensonges qui ont jalonné mon enfance.

Aujourd’hui, tous les protagonistes étant décédés, il est impossible de savoir pourquoi mon père et sa femme ont pris la décision de me garder. Mon frère voulait-il à tout prix se débarrasser de l’enfant à naître ? Mon père a-t-il reçu des menaces de sa part ? Il semble qu’il y ait eu une entente entre les deux parties : mon père promis que je ne manquerais jamais de rien et de pourvoir à mon éducation. Il n’y eut aucun papier d’adoption. À l’hôpital, on demanda à maman de quitter le lit où elle venait de me mettre au monde et de se faire discrète dans un coin de la chambre. Ma nouvelle mère se coucha alors dans le lit et avec moi dans ses bras, se fit prendre en photo pour la postérité. Ensuite, on mit son nom sur le baptistaire et le tour fut joué. Ces gestes ont suffi pour enterrer une histoire honteuse.

Personne ne s’interroge sur ce que ressent l’enfant du viol. Il m’est difficile et même horrible de penser que si ce viol n’avait pas eu lieu, je n’aurais pas existé.

Un grand merci à ma chère tante Jeannine qui a eu le courage de tout nous dévoiler et à mon frère Claude qui ne perdit jamais espoir.

Covid-19 – Mes souvenirs de la grippe asiatique

En 1957, j’étais pensionnaire au couvent de Coaticook lorsqu’est arrivée la pandémie de la grippe asiatique. Nous étions à la queue leu leu, collées les unes sur les autres pour recevoir le vaccin qui devait nous protéger. À l’époque on ne connaissait pas les distances à prendre pour éviter la contagion.  Après l’injection, je suis tombée subitement dans les pommes. Malade et dans un quasi-coma fiévreux, je suis restée avec les autres jeunes, dans un dortoir où les lits n’étaient séparés que par un simple chiffonnier. Notre quarantaine a duré 40 jours. Pendant des années, j’ai pensé naïvement que le vaccin était responsable de ma contamination. Chaque année j’évitais soigneusement les vaccins contre la grippe. Un jour, dans un CLSC, un médecin attentif à ma crainte m’a expliqué que j’étais alors déjà contaminée et que le vaccin n’y était pour rien. Depuis, je me fais vacciner tous les ans contre le virus de la grippe.

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