Le problème à trois corps

Liu Cixin

J’ai vu les trois premiers épisodes et j’aime beaucoup la série. Bien que les auteurs aient pris quelques libertés par rapport au roman, dont l’histoire se déroule principalement en Chine, la dynamique générale et les interactions restent fidèles au livre. Les événements clés du roman de Liu Cixin y sont également présents.

L’histoire commence pendant la Révolution culturelle chinoise, où Ye Wenjie, astrophysicienne et fille d’un scientifique renommé, est envoyée dans un camp de travail après le meurtre ignoble de son père. Par la suite, elle est affectée à une station de radioastronomie. C’est là qu’elle capte un message extraterrestre provenant du système Alpha Centauri, Trisolaris. Ye Wenjie se retrouve alors déchirée entre l’espoir d’un contact avec une civilisation extraterrestre et la crainte des dangers potentiels que cela pourrait représenter pour l’humanité. Après réflexion, elle décide de répondre au message, convaincue que l’humanité ne peut pas ignorer une telle opportunité. Mais sa décision est aussi motivée par sa haine envers l’humanité, qu’elle juge corrompue et vouée à la destruction, et par l’espoir que les extraterrestres pourront apporter une solution aux problèmes de la Terre. Cette décision met en lumière les questions éthiques et philosophiques soulevées par le contact extraterrestre. « Le Problème à trois corps » explore en profondeur les conséquences du choix de Ye Wenjie.

L’histoire nous présente également une civilisation extraterrestre du système stellaire Alpha Centauri, Trisolaris. Ce système est soumis à un chaos gravitationnel permanent, car il est composé de trois soleils, rendant la vie sur les planètes très inhospitalière. Face à ce chaos, les Trisolariens cherchent un nouveau foyer et considèrent la Terre comme une destination possible. Le jeu vidéo « Trois Corps » joue un rôle crucial dans l’intrigue. C’est un jeu de réalité virtuelle immersif qui permet aux joueurs de vivre sur Trisolaris, une planète à trois soleils où les lois de la physique diffèrent de celles de la Terre. Le jeu est utilisé par le gouvernement pour identifier les personnes ayant des capacités scientifiques et intellectuelles exceptionnelles. À mon avis, il peut également être perçu comme une métaphore de la communication et de la compréhension entre différentes cultures.

Je n’en dis pas plus.

Je recommande vivement cette série de hard science-fiction (c’est-à-dire que les événements et les phénomènes sont expliqués par des lois scientifiques et non par des éléments surnaturels ou mystiques). Liu Cixin a reçu le Prix Hugo pour ce roman à sa sortie.

Et pourtant, on n’a pas attendu l’IA pour mettre notre planète en péril ….

Chaque découverte révolutionnaire apporte son lot de craintes ancestrales et de visions apocalyptiques. En raison des performances actuelles et évolutives d’une IA comme ChatGPT ou Bing, la peur s’installe et la raison fait place à la sottise. MBC voit dans l’IAG « une aliénation comme nous n’en avons jamais vu dans l’histoire de l’humanité.»  Même les programmeurs seraient effrayés par leurs créations. Certains des grands noms de la technologie, et non les moindres, demandent un moratoire de six mois.  Cet arrêt imposé à la recherche permettrait, selon eux, de réguler en urgence,  le « prétendu » remplaçant de l’être humain. On l’a bien fait avec le nucléaire, argumente Joshua Bengio. En mettant l’accent sur une puissance évolutive démesurée, inquiétante et menaçante, les concepteurs espèrent sans doute en tirer des avantages qui devraient rapporter gros, et rapidement.

Ce moratoire demandé par certains scientifiques ne risque-t-il pas de nous éloigner des buts espérés, c.a.d, d’aider dans la recherche de diagnostics et de soins médicaux et dans les problèmes environnementaux où personne ne conteste l’urgence, etc. ? Devant l’obsolescence annoncée de notre espèce, une IA ayant un accès instantané à la quasi-totalité du savoir humain, trouvera peut-être des solutions inédites à nos préoccupations existentielles. À propos du moratoire, Yann LeCun, chef de l’IA chez Meta, ironise en disant: « Nous sommes en 1440 et l’Église catholique a demandé un moratoire de six mois sur l’utilisation de la presse à imprimer et des caractères mobiles. Imaginez ce qui pourrait arriver si les roturiers avaient accès aux livres ! »

Une autre crainte est celle de l’éventuelle perte massive d’emplois, même ceux qui sont gratifiants. Très peu considèrent que nous serions suffisamment intelligents pour nous adapter à de nouvelles compétences. La série de science-fiction Orville, nous propose un futur où chaque être humain a droit à un revenu garanti égalitaire et n’est plus guidé par l’argent, mais par les compétences de chacun. Utopique, direz-vous ? En tout cas, beaucoup plus logique que les projections délirantes de certains. 

Les questions abordées par Joshua Bengio (que j’admire néanmoins) ressemblent à un arrêt sur image. Il n’est pourtant pas sans savoir que toute aide est bonne pour sauver l’humanité. Les questionnements sur la conscience de soi, l’importance du désir et de la curiosité et le statut de personne morale, seront certainement les philosophies débattues dans l’avenir. Nos désirs sont souvent liés au manque et à la nécessité de combler ce manque pour survivre. Cependant, il est important aussi de noter que le désir peut également provenir de facteurs plus complexes, tels que la curiosité, l’ambition, le besoin de se connecter avec les autres, etc.

Le risque de perdre le contrôle de notre civilisation…

Je considère l’être humain insuffisamment compétent à gérer et à protéger nos milieux de vie. Le contrôle est aujourd’hui dans les mains du grand capital. Ce qui nous pend au bout du nez à tous, ce sont les guerres multiples, le danger nucléaire, un nouvel ordre mondial qui désocialisent encore plus les nations. L’IA n’est aucunement responsable de nos problèmes actuels. Elle  reproduit seulement nos informations et nos biais. On est encore très loin de la pensée et de la réflexion. Pour l’instant, ses  réponses à nos questions ne sont que factuelles. Mais son évolution est en cours et l’humanité aurait intérêt à développer rapidement sa programmation.

Certaines problématiques demeurent incontournables, telles que « la mise en place de garde-fous sécuritaires, la possibilité de détecter l’usage de l’IA, la responsabilité en cas de dommage causé par l’intelligence artificielle… », la protection des données, etc.  

Malheureusement, nous devons également nous rendre à l’évidence : ceux qui possèdent un ego et une estime de soi démesurés ne pourront jamais admettre qu’ils seront bientôt déclassifiés, même au prix de leurs survies. D’autres, accueilleront cette nouveauté comme un nouvel espoir pour l’humanité.

Coup de spleen!

Je suis tannée de parler et d’entendre parler de religion. Après 12 ans de pensionnat, 12 ans de militantisme à la Libre Pensée québécoise, 18 ans chez les humanistes, et 16 ans sur Facebook, je ressens une écœurantite aigüe et un désespoir profond. Je croyais qu’après avoir mis la religion catholique en dehors de l’espace public, le Québec deviendrait une société moderne et rationnelle. Beaucoup y ont cru. Mais, l’Islam est alors entré par la porte de derrière et, faisant fi de notre laïcité, tente par tous les moyens de nous imposer leur religion. De son côté, le gouvernement canadien s’efforce de nous enfoncer dans la gorge un multiculturalisme auquel on refuse de se soumettre. En faisant l’amalgame entre race et religion, il soulève, contre les Québécois, le courroux des groupes humanitaires et ceux des droits de la personne.

En dehors de l’indépendance du Québec, y a-t-il vraiment un autre moyen de se sortir de ces engeances maudites et de vivre dans un monde ou les religions, les sectes et autres superstitions, seraient enfin bannis de nos débats publics et de nos politiques?

« Liberté, j’écris ton nom! »

La tentation d’Aladin

de Léon Ouaknine

Il y a un an, j’ai eu le bonheur de lire l’excellent roman de science-fiction philosophique « La tentation d’Aladin » de mon ami Léon Ouaknine. Le développement rapide de ChatGPT remet ce livre en plein dans l’actualité.  Les enjeux inhérents à la problématique d’une IA hyper-intelligente, les réflexions, les craintes et les emballements de certains, les avancées incroyables qui en découlent, intéresseront de nombreux lecteurs et lectrices. Vous serez surpris de constater à quel point Léon Ouaknine avait vu juste par rapport à cette problématique devenue réalité. En plus de nombreuses réflexions sur ce thème, vous y trouverez également plusieurs idées novatrices.

Lors de notre dernière rencontre, j’ai refilé le roman de Léon à ma chère amie Irène Durand en lui demandant de m’écrire ses commentaires. Je vous les présente ici, sur mon blogue, en espérant qu’ils feront naître en vous suffisamment d’intérêts pour ce livre agréablement de son temps.


La tentation D’ALADIN

Commentaires de Irène Durand

Ma chère Danielle, j’ai lu le livre de Léon Ouaknine. Je le classerais dans la catégorie science-fiction philosophique.

Comme je connais Ouaknine par ses pages Facebook, j’ai eu peu de surprises. Je connaissais sa vaste érudition, ses riches expériences de vie et son audace pour exprimer ses positions politique et anti-religion. Cependant, je ne savais pas qu’il avait cette vision apocalyptique de l’avenir. Hélas! Il a probablement raison.

J’ai lu récemment L’Algoritme de Rebecca du Québécois Christophe Roux-Dufort. Ce livre traite de l’incroyable IA créée par une Québécoise, prix Nobel et adepte d’une secte. Ce thriller, du style Da Vinci Code, nous révèle dans le dénouement que c’est l’Église catholique qui cherchait par tous les moyens à s’approprier cette IA nommée Transparence. Ceci pour dire qu’il y a sans doute des « pattern » dans la science-fiction, mais je ne suis pas spécialiste du genre.

En fait, j’ai davantage saisi le roman de Ouatkine comme un essai présenté sous forme de science-fiction. Les réflexions philosophiques sur la liberté, la conscience, le libre arbitre, la volonté, etc., ainsi que les mécanismes biologiques reliés aux émotions et à l’irrationalité m’étaient familiers, de même que les mécanismes politiques concernant la nature de l’homo sapiens.

En fait, le narrateur apparaît comme un professeur qui explique très bien les problématiques reliées au sujet principal: comment sauver l’humanité de la catastrophe écologique. Le ton est un peu aride pour un roman. Les premières surprises: l’héroïne d’une hyper-intelligence, co-conceptrice de Prométhée, choisit de donner naissance à l’ancienne. La deuxième surprise c’est la méthode proposée pour économiser l’énergie et permettre la survie de l’espèce: transformer les humains en chlorophylliens. J’ai aimé cette idée. Quant à l’ascenseur spatial créé grâce à Prométhée (la Supra-Intelligence), c’est plus qu’une métaphore du succès de l’exploration spatiale, qui ne suscite aucune critique sociale. En fait ce sont les réflexions qui en découlent qui ont de l’intérêt.

Finalement, il n’y a pas d’acceptation sociale pour les terriens qui tournent au vert: les chlorophylliens. La révolte s’installe, émoustillée par l’alliance des trois grandes religions de l’Occident qui ne peuvent admettre que Prométhée soit dans le plan DIVIN. Ce conflit idéologique permettra quelques scènes d’actions.

L’auteur revient souvent sur la notion de rationalité. Il réfléchit, à travers ses personnages, à l’hypothèse de rendre les terriens super intelligents, comme le fils « miraculé » des créateurs de Prométhée. Finalement, il ne semble pas que ce soit une solution parce que ceux-ci seraient en compétition tant qu’ils conserveraient leur nature humaine. Le combat hiérarchique pour la dominance semble profondément inscrit dans la biologie humaine.

Bref, ce livre suscite plus de questionnement qu’il n’apporte de réponses, tout en donnant beaucoup d’informations et de réflexions philosophiques et scientifiques. La conclusion c’est qu’il faut continuer à rouler sa roche comme Sisyphe puisque l’avenir est une montagne d’incertitudes malgré toutes nos connaissances. En fait, l’auteur parle des abeilles qui se sont mises à voler alors que cela n’était pas leur vocation.

L’actuelle révolution concernant l’Intelligence Artificielle rend ce livre plus actuel que jamais. Pour les amateurs et amatrices de ce genre de réflexions.

On pourrait penser qu’il y aurait une suite.

I.D.   

Le Mage du Kremlin

de Giuliano da Empoli

Je termine la lecture d’un magnifique roman, « Le Mage du Kremlin », écrit par le politologue et essayiste italien Giuliano da Empoli. Ce roman, basé sur des faits réels, est très instructif sur le pouvoir en Russie et nous aide à comprendre comment on en est arrivé à cette guerre effroyable en Ukraine. Vadim Baranov, librement inspiré de l’ancien conseiller de Poutine, Vladislav Sourkov, se confie à un jeune étudiant. Passionné de livres et amoureux de la culture occidentale contemporaine, à l’instar de son grand-père à l’époque tsariste, Baranov, le mage du Kremlin, retrace certains événements importants des dernières années et analyse pourquoi « la domination brutale de Poutine fonctionne sur le peuple russe ».

À la fin du communisme, les Russes vivaient dans une sorte de « Far West » démocratique où les oligarques dominaient dans tous les domaines du capitalisme et de la politique. Jusqu’à ce qu’ils comprennent enfin que cette situation ne leur était pas favorable : l’éclatement du pouvoir, la criminalité, les taux de suicide élevés, le désarroi du peuple. « Les Russes avaient une patrie, ils se retrouvent avec un supermarché ». Sans réellement savoir ce qui les attendait, croyant avoir trouvé la marionnette idéale, les oligarques ont donné les clés du pouvoir à un parfait inconnu, Vladimir Poutine, alias le Tsar, dictateur et mégalomane solitaire qui « a une écharde de glace dans le cœur » et qui vit la nuit.

« Le Mage du Kremlin » est un roman réaliste, superbement écrit. C’est un livre dont tu te dis : ah! celui-là est différent! Un livre où la culture domine et dont la fin ne laisse malheureusement aucun espoir. L’auteur écrit : « Grand-père disait que tôt ou tard, quelqu’un devrait ramasser toutes les statues équestres éparpillées dans toutes les villes du monde et les expédier au milieu du désert, dans un camp dédié à tous les massacreurs de l’histoire. » Au mépris des « wokes », ces déboulonneurs de statues et censeurs d’histoires, artisans de l’oubli collectif, l’auteur oppose la connaissance et l’analyse des faits. À la fin, il se veut également visionnaire en tentant de démontrer ce qui, pour lui, devient une évidence : l’émergence d’un pouvoir encore plus absolu, celui des robots : « Il faudrait toujours regarder l’origine des choses. Toutes les technologies qui ont fait irruption dans nos vies ces dernières années ont une origine militaire. Les ordinateurs ont été développés pendant la Deuxième Guerre mondiale pour déchiffrer les codes ennemis. Internet comme moyen de communication en cas de guerre nucléaire, le GPS pour localiser les unités de combat, et ainsi de suite. Ce sont toutes des technologies de contrôle conçues pour asservir, pas pour rendre service. Seule une bande de Californiens défoncés au LSD pouvait être assez débile pour imaginer qu’un instrument inventé par des militaires se transformerait en outil d’émancipation. Et ils ont été nombreux à le croire », écrit-il. Mais, sur ce point, il n’apporte aucune analyse.

Cette fin, abrupte et sans concessions, aurait mérité une analyse plus complète et éloignée des dérives actuelles.

À lire pour tout ce que ce roman apporte de clarté à l’histoire que l’on connaît déjà : celle du pouvoir en Russie. Et pour la beauté de la langue.


Vivre à deux

Vivre à deux ce sont ces petits mots doux, envoyés à la volée, ces gestes de tendresse irrépressibles, le travail côte à côte sur les brouillons de nos projets, des sourires de connivence, un soutien indéfectible, la compréhension instinctive de nos moments de solitude, de réflexions, du temps que l’on se donne à soi et à l’autre. C’est un contrat sans signatures, gravé par l’amour et la confiance.

Et tant d’autres choses encore…

Vivre seule c’est la liberté totale et quoi d’autre ?

Mes souvenirs de la Libre Pensée québécoise

Hommage à la Libre Pensée québécoise

Québec humaniste, 2022, Volume 17, No 1:

https://assohum.org/

https://assohum.org/archives-de-la-revue-la-libre-pensee/
De gauche à droite: Jean Ouellette, Roger Desormeaux, Danielle Soulières, Bernard La Rivière, André Forget.

« Quand tous pourront rire autant en lisant Saint Jean-de-la-Croix ou maître Eckart qu’en lisant Sagan, Reeves, Asimov ou Fernand Seguin, on pourra fermer les églises et distribuer « La Libre Pensée » porte à porte. » Bernard Larivière

Ce numéro spécial de Québec Humaniste, est entièrement consacré à La Libre Pensée Québécoise. Je tiens d’abord à remercier chaleureusement Claude Braun qui, au printemps 2021, me proposa de numériser les revues « La Raison » et « La Libre Pensée Québécoise » afin de les archiver sur le site de l’Association Humaniste du Québec. J’acceptai avec joie, trop heureuse de rendre enfin un hommage à mon ami, Bernard La Rivière qui en fut, l’inspirateur, le maître d’œuvre et le premier président et à tous les libres penseurs et les libres penseuses qui y ont participé. Que La Libre Pensée Québécoise sorte enfin du placard et qu’elle soit reconnue par les humanistes d’aujourd’hui, ne peut qu’être positif pour l’Histoire plus générale de l’athéisme au Québec.

Les débuts 

En 1982, André Forget, un ami de longue date, professeur de physique au secondaire et athée solitaire, nous proposa, à mon conjoint Roger Desormeaux et à moi, une rencontre avec Bernard La Rivière, professeur de philosophie au CÉGEP de Saint-Jérôme, athée et libre penseur qui clamait haut et fort son athéisme, dans sa Revue La Raison. Après avoir rejeté la religion au sortir de 12 années de pensionnat chez les « bonnes sœurs », je connaissais tout ou presque de la religion catholique, mais je n’avais alors aucune idée de ce qu’étaient une athée et une libre penseuse. Cette rencontre fut déterminante et transforma nos vies, à bien des égards. Nos lectures changèrent de registre. Roger et moi enchaînions les livres d’idées sur l’athéisme, la libre pensée, la philosophie, la science, etc. Curieux et conscients de nos lacunes, nous nous inscrivîmes en philosophie à l’UQAM.

C’est le 26 novembre 1982, autour d’une grande table, dans le sous-sol d’une librairie de Montréal, dont j’oublie le nom, mais qui pourrait bien être la librairie communiste…- et dans une ambiance amicale, que Bernard La Rivière, André Forget, Roger Desormeaux et moi-même, élaborâmes les principes et les orientations de l’Association de La Libre Pensée Québécoise. À notre petit groupe, se joignit rapidement Jean Ouellette (comptable), qui devint le secrétaire-trésorier de l’association, Georges Ouvrard (ami de Claude Gauvreau et frère de la romancière et poétesse Hélène Ouvrard) et Gabriel Dubuisson de la Revue La Raison, Daniel Baril (Président du MLQ) et Leslie Piché (poète).

J’ai encore en mémoire nos rencontres à l’ambiance festive, nos discussions interminables et enrichissantes. Attablés devant une bonne bouffe, cuisinée par l’un ou l’autre et des vins choisis avec soin, ces moments furent des plus précieux pour décortiquer et articuler nos idées, nos luttes pressantes et notre projet à venir : la Revue. Nous nous sentions les rejetons d’un peuple (Français) qui avait appris l’art de la discussion et de la raison et nous les pratiquions avec sérieux et bonne humeur. Nous déplorions le fait que les intellectuels québécois soient mal perçus par leurs concitoyens, mais aussi que certains de ces intellectuels rejetaient notre lutte contre la religion, la traitant d’arrière-garde. Nous étions un groupe actif et joyeux, fier de nos idées et de nos réalisations. La Libre Pensée fut, à ma connaissance, la seule association où l’ouverture d’esprit, la liberté de parole, le choc des idées n’étaient pas de vains mots. En tant que femme, féministe, athée, libre penseuse, je m’y sentais bien. À cette époque effervescente, l’audace de nos luttes sociales est demeurée épique : l’indépendance du Québec, le féminisme, la séparation de l’Église et de l’État, la laïcité, le droit pour les femmes à l’avortement … – C’est dans cet état d’esprit que naquit la revue La Libre Pensée.

La revue La Libre Pensée 

Le premier numéro de la revue La Libre Pensée est paru au 2e semestre de 1984. Ceux et celles qui ont participé à nos lancements se souviendront de ces beaux moments et des nouvelles rencontres qui élargissaient le cercle de nos membres et de nos amis : Pierre Cloutier (Audioman – fondateur des Sceptiques du Québec), Philippe Thiriart (professeur de psychologie – fondateur des Sceptiques du Québec), Pauline Cotnoir, Jean-Paul de Lagrave (historien), Andrée Spuhler (présidente de Freethinkers, Floride), Claude Soulières, Michel Legault (journaliste), Jacques G. Ruelland (professeur de philosophie), et tant d’autres dont vous découvrirez les noms et leurs articles dans les pages de nos revues.

Henry Morgentaler à la présidence 

En juin 1985, lors de l’assemblée annuelle des membres, le Dr Henry Morgentaler fut élu président de l’association La Libre Pensée québécoise. Ce fut un honneur d’avoir ce grand humaniste dans nos rangs. Henry était un homme de grande valeur, un humaniste de naissance, comme il se plaisait à le dire, et un défenseur sincère des droits des femmes. Il écrivait :

« Ce qui est important pour moi, c’est de pouvoir mener une vie authentique qui réponde aux exigences de la philosophie humaniste, c’est-à-dire « pratiquer ce qu’on prêche », mettre à exécution les valeurs que j’estime être bonnes et utiles, non seulement pour moi, mais pour mon prochain. »

Ancien président de l’Association Humaniste du Canada, il fut également nommé l’humaniste de l’année par l’American Humanist Association en 1975. Malgré les poursuites judiciaires, les agressions et les menaces de mort, le docteur Morgentaler s’est battu toute sa vie pour défendre le droit des femmes à des avortements sécuritaires.

La revue changea alors de sous-titre pour devenir : Revue De Recherche Humaniste et plus tard, Revue de philosophie humaniste. Roger Desormeaux, le vice-président, écrivit en éditorial « Forte de cette nomination, au moment où les droits de la personne nous apparaissent plus menacés que jamais, la Libre Pensée développera une nouvelle vitalité dans la pensée tout en poursuivant sa tâche : celle de procurer à la société québécoise une alternative humaniste en dehors de tout dogme et de tout mysticisme. » 2e semestre 1985, No 3, p.3. Après deux années, où sa présence fut plutôt symbolique, mais inestimable pour notre jeune association, Henry Morgentaler s’est retiré au 2e trimestre 1987 et à sa demande, je lui succédai à la présidence.

Quelques évènements à signaler

Nous reçûmes, en 1987, une invitation à participer activement au Congrès des Humanistes d’Amérique du Nord qui eut lieu à l’Hôtel du Parc à Montréal. Le thème du Congrès était : « Our shared World/Ce monde que nous partageons ». La Libre Pensée y tenait un kiosque, anima un atelier en français avec le Dr Henry Morgentaler et présenta les conférenciers suivants : Jean-Paul de Lagrave, Jacques G. Ruelland et Roger Desormeaux. Margaret Atwood, écrivaine féministe, recevait le prix d’humaniste de l’année.

-Automne 1987 – La Libre Pensée à la télévision. « Une série de 12 émissions de 30 minutes intitulée « Science et Libre Pensée » fut enregistrée et diffusée sur la rive sud de Montréal. « L’animatrice de la série est Leslie Piché et le réalisateur Pierre Cloutier, assisté de Jean Ouellette et Claude Soulières. » Vous pourrez lire les noms des invités et les sujets traités dans La Libre Pensée, 1er semestre 1988, No 8, p. 5.

-La Journée Historique du 28 janvier 1988 :

« Henry, notre compagnon de lutte sortait triomphalement de la Cour Suprême du Canada où venaient d’être déclarées inconstitutionnelles et contraires à la Charte des Droits les dispositions du Code criminel qui limitaient l’accès à l’avortement. En un mot, l’avortement au Canada, n’est plus un crime. » Danielle Soulières

Étions-nous des humanistes ?

Après certains heurts avec des humanistes anglophones et des réflexions plus poussées au sujet de l’humanisme, la revue abandonna son sous-titre « Revue de recherches humanistes » le 1er semestre 1989, No 9 et redevint simplement, « La Libre Pensée ». Je me suis souvent demandée, et même aujourd’hui en tant que membre de l’Association Humaniste du Québec, s’il n’y avait pas une différence fondamentale de la compréhension philosophique et politique des choses entre les libres penseurs et les humanistes. Serait-ce essentiellement le choc des idées entre deux cultures – la Française et l’Anglaise ? En parcourant les 15 numéros de la revue, pour écrire cet article, je constate que ces questions n’ont jamais été clairement résolues.

Refonte de la revue et ébauche d’une nouvelle ère 

Le 6 août 1989, Bernard La Rivière fut réélu président de l’association et Jacques G. Ruelland devint rédacteur en chef de la revue. Le 1ersemestre 1990, No 12, la revue fait peau neuve. Le départ malheureux de Jean Ouellette, notre compagnon de lutte, qui occupait plusieurs fonctions à l’association et à la revue, dont la composition des textes et la mise en page, laissa un grand vide. Pour le remplacer, on fit appel à Mme Élisabeth Reney-Demets, professionnelle de la micro-édition. La revue changea d’aspect et le contenu devint plus étoffé et en même temps, plus académique, se différenciant de l’expression libre des auteurs précédents. Au 2e semestre 1991, No 13, M. Jean-Claude Simard s’est joint à nous au Comité de rédaction.

À un lecteur qui donna une appréciation excellente de la revue, mais trouvait certains de nos textes trop « académiques » et « rébarbatifs », notre poète, libre penseuse répondit :

« (…) Comme vous le savez, la revue s’adresse à un public particulier, c’est-à-dire que tous ces gens n’ont pas en commun une formation académique semblable, mais plutôt un intérêt philosophique pour un questionnement autre que celui généralement offert. Dès lors, nous avons pour mandat premier de respecter cette réalité plurielle : il en va de la survie même de la revue et de l’Association. Bien qu’on se plaise couramment à affirmer qu’il est risqué de ménager la chèvre et le chou, nous en avons fait, nous, notre point d’honneur. Et jusqu’à ce jour, l’histoire semble nous donner raison. (….) » Leslie Piché 

– La Libre Pensée, 1er semestre 1990, No 12, p. 35, 36. C’était aussi cela, La Libre Pensée : ouvrir ses pages au plus grand nombre d’athées et de libres penseurs. En 1991, La Libre Pensée québécoise sortit un numéro double, No 14-15. Et ce fut la fin de notre belle aventure en ce qui concerne la revue.  Pendant une dizaine d’années, certains d’entre nous ont continué à écrire et à poursuivre nos débats sur notre site et notre forum internet : La Libre Pensée Québécoise

Conclusion 

Puisqu’il faut bien conclure, rappelons-nous qu’il y eut avant nous, dans l’histoire du Québec, des athées, des libres penseurs, des humanistes qui n’ont pas eu cette chance inestimable d’interagir dans des groupes de réflexions et de militantisme. Leurs écrits demeurent encore importants et leurs espoirs toujours à réaliser. Ils et elles ont tout mon respect. Pourquoi la revue a-t-elle cessé de paraitre ? Difficile de mettre l’accent sur une seule raison : le départ malheureux de notre ami Jean Ouellette à qui le comité de rédaction avait refusé un texte, la difficulté de trouver des articles variés, les écrits plus académiques des derniers numéros, la relève, le temps qui nous appelaient vers d’autres horizons ? Sans doute toutes ces raisons. Difficile d’en faire un bilan plus rationnel. Pendant sa courte existence (de 1982 à 1991), la Libre Pensée québécoise fut plus qu’une association pour plusieurs d’entre nous, elle fut le foyer chaleureux de notre famille philosophique.

Une pensée à nos chers disparus 

Henry Morgentaler (2013), Bernard La Rivière (2015), Pauline Cotnoir, Georges Ouvrard, Roger Desormeaux (2021), Jean Ouellette (2020), Andrée Spuhler, André Forget (2020) et Jean-Paul de Lagrave (2020).

https://assohum.org/…/mes-souvenirs-de-la-libre-pensee…/

De gauche à droite: Danielle Soulières, Roger Desormeaux, Henry Morgentaler.
1987 – Congrès des Humanistes d’Amérique du Nord, Hôtel du Parc, Montréal. De gauche à droite : Jean-Paul De La Grave, Roger Desormeaux, Georges Ouvrard, Danielle Soulières, Henry Morgentaler, Andrée Spuhler, Jean Ouellette. Derrière: André Forget

 

Demande d’excuses ?

À partir de l’âge de 4 ans, j’ai fréquenté quelques pensionnats, et cela pendant douze ans. Je peux dire qu’il y avait, dans ces milieux religieux, de bonnes et de mauvaises personnes. Cependant, ce qui me frappe, devant les demandes des Autochtones, c’est qu’aucunes de nous n’avons pensé demander des excuses pour les maltraitances ou sévices moraux et physiques que parfois les sœurs nous faisaient subir. Je me contente de vous citer deux exemples qui m’ont marquée à jamais :  

Toutes petites, nous avions une peur terrible des orages, surtout pendant la nuit. Pourquoi, me demanderez-vous? Parce que pendant ces nuits effrayantes, les sœurs passaient de cellule en cellule, priant très fort, tout en nous aspergeant d’eau bénite. Réveillées, nous tremblions de tous nos membres, la peur au ventre, espérant que le diable nous laisse enfin tranquille.

Le pape Pie XII (ce pape qui affectionnait Hitler et les nazis) étant tout près de la mort, les sœurs manipulaient nos jeunes esprits, en nous suggérant fortement de porter le cilice, ces ceintures, bardées d’épingles ouvertes que nous attachions autour de notre taille, à l’intérieur de nos vêtements et qui s’incrustaient douloureusement dans nos chairs. D’autres se promenaient des jours entiers avec des roches dans leurs souliers.

Et ce ne sont pas les seules horreurs que nous avons vécues, nous aussi, enfants blancs, confiés par nos parents blancs, dans des pensionnats dirigés par les communautés religieuses de l’époque.

Devrions-nous aussi demander des excuses ?  Vous me direz que ce n’est rien comparé à ce qu’on subit les enfants autochtones. Qu’elles n’ont pas tenté de détruire notre culture. Mais que savons-nous vraiment de ce qu’elles ont détruit en nous ? À ma sortie du couvent, à l’âge de 16 ans, je changeais de trottoir lorsque je les rencontrais dans la rue.

La littérature pour mieux comprendre la guerre en Ukraine

Malgré les quelques connaissances que nous avons, il est difficile de faire le point sur la guerre en Ukraine. Le plus important, me semble-t-il, est tous ces gens qui soudainement subissent le choc de l’exil en abandonnant leurs maisons, leurs familles, leurs amis…, ces êtres humains, qui souffrent et qui meurent, et cela, directement sur nos écrans, dans l’indifférence quasi totale. Être informé, voilà tout le défi. Oh, oui! Bien sûr, on s’indigne, on se cultive et on écrit!

Le besoin de voir et de comprendre les raisons de ce conflit nous plonge, avec discernement, espère-t-on, dans des lectures ciblées et des reportages où l’on apprend, de part et d’autre, les « raisons » historiques de ce conflit. L’esprit critique devient alors nécessaire afin d’éviter la propagande de guerre des deux côtés; absorber ces informations, mais surtout, revenir à l’histoire de ces peuples afin de mieux comprendre les enjeux.

Des pans de l’Histoire de la Russie et de l’Ukraine ne nous sont pas tout à fait inconnus. Ce billet a pour but premier de parler littérature; ces romans d’auteurs russes, ukrainiens et autres qui m’ont bouleversée et dérangée :

« Vie et destin » de Vassili Grossman, une fresque monumentale qui fait revivre l’URSS en guerre à travers le destin d’une famille russe;

« Famine Rouge » de Anne Applebaum, raconte la famine meurtrière qui frappa l’Ukraine au début des années 30;

« Le malheur russe : Essai sur le meurtre politique » de Hélène Carrère d’Encausse – les épisodes tragiques de l’Histoire de la Russie;

« Terres de sang » de Timothy Snyder – meurtres politiques de masse pendant la Seconde Guerre mondiale;

« Le village » de Dan Smith – Ukraine, 1930 – l’arrivée des activistes envoyés par Staline pour réquisitionner les hommes et les terres;

« La fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement » de Svetlana Aleksievitch – les témoignages et les propos d’ex-Soviétiques sur les changements sociaux brutaux qu’ils ont subis, avec la fin de l’URSS.

Quelques nouveautés qui me paraissent intéressantes :

  • « Les abeilles grises » de Andreï Kourkov, raconte la guerre, celle qui sévit depuis bientôt huit ans, dans le Donbass, entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses soutenus par Moscou. – Sorti juste avant le début de l’invasion par la Russie.
  • « Les loups » de Benoît Vitkine : thriller politique dans lequel l’auteur parvient à éclairer toute la complexité de la situation ukrainienne depuis l’écroulement de l’URSS en 1991.

Bonne lecture!

L’IA à la rescousse de la longévité humaine ?

Réflexions entre deux passionnés de science-fiction: Léon et moi.

Léon : « Deux problèmes se posent : tout d’abord, contrairement au reste du corps humain, les neurones ne se reproduisent pas ou peu (la neurogenèse continue toute la vie, mais très faiblement) et du coup on n’a encore aucune idée de comment maintenir en bonne fonctionnalité un neurone pendant 150, 200 ou 300 ans. Peut-être est-ce impossible. Ensuite, advenant qu’on y arrive, une longévité de plusieurs siècles correspondrait probablement à la définition de l’enfer. »

Léon : « Il suffit de voir comment avec l’âge, nos facultés mentales et surtout nos dispositions vis-à-vis de l’inconnu se transforment. Mais concédons que nous puissions maintenir le niveau hormonal qu’on a à 18 ans pendant 300 ans. Examinons un instant l’intérêt amoureux. Comment imaginer qu’on puisse avoir la même curiosité et les mêmes désirs après des centaines voire des milliers d’expériences amoureuses. ? Allons plus loin, comment vivre avec la même épouse pendant 200 ans ? Oublions tout ça pour ne considérer que la curiosité intellectuelle; on n’a aucune idée aujourd’hui, comment se comporterait un humain pendant 300 ans; si l’on se fie à la centaine d’années qu’on peut observer chez un humain, on est obligé de conclure que pour qu’un être humain vive correctement pendant 300 ans, il faut l’imaginer profondément transformé à tout point de vue et plus encore au niveau de son fonctionnement cortical. »

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Danielle: Les études récentes sur la longévité humaine ne sont pas aussi sombres que l’on veut bien nous le laisser croire. Certaines la fixent à 150 ans, en prenant en compte le niveau de stress, le mode de vie, les maladies et la résilience, d’autres excluent même le principe d’une limite. Nos réflexions devraient être basées sur des données factuelles, mais seulement pour l’exercice et le plaisir, allons un peu plus loin. Imaginons un instant ce que pourrait devenir l’être humain si nous vivions quelques centaines d’années de plus. Imaginons celui-ci « transformé à tout point de vue ».

Pourquoi serait-il si effrayant de nous voir telles que nous sommes en réalité: une étonnante « machine » dotée d’une « intelligence du corps » qui nous singularise, malheureusement « limitée par une lente évolution biologique», se désolait le célèbre astrophysicien Steven Hawkins, mais réparable et améliorable, au gré des avancées scientifiques. Selon les derniers résultats des recherches qui se font au Laboratoire du vieillissement cognitif de l’université de Genève, l’humain aurait, contrairement à ce que l’on pensait d’abord, «la capacité à s’appuyer sur son expérience, ses compétences et ses connaissances. Dans un cerveau qui n’est pas malade, ce type d’intelligence augmente progressivement avec l’âge et reste stable pendant longtemps, pour ne décliner qu’à la fin de la vie.»  Or, cette vie, nous y tenons. Confronté à cette question, mon ami philosophe, Bernard La Rivière, répondait spontanément: « La mort, je suis contre !». Bien sûr, ce n’était qu’une boutade, mais notre incapacité à prolonger cette vie aussi rapidement que nous l’espérons, demeure pour l’instant, une évidence accablante : notre corps et notre cerveau dépérissent honteusement alors que les solutions se trouveraient peut-être dans le cerveau d’une intelligence artificielle. Notre lenteur pour apprivoiser l’inconnu pourrait causer notre perte. Pourquoi pensez-vous, mettons-nous autant l’accent sur l’intelligence artificielle si ce n’est par besoin d’améliorer nos propres lacunes ? C’est assez troublant d’ailleurs : nous créons des IA afin qu’elles nous aident à régler des problèmes insolubles, souvent même inconnus, notre cerveau n’ayant pas la capacité d’emmagasiner et d’analyser les masses de données nécessaires qui nous permettrait de survivre en tant qu’humain et en tant qu’espèce, et certains se rebiffent, craignant par-dessus tout que celles-ci nous surpassent. Les IA auront, sans aucun doute, les facultés d’anticiper différents scénarios et de proposer des solutions jusque là ignorées, mais elles n’auront pas nos désirs, nos émotions, nos expériences sensitives, nos intuitions fulgurantes, notre folie créatrice. Hawkins déclara un jour avec humour : « Nous passons beaucoup de temps à étudier l’histoire, à savoir, admettons-le, principalement l’histoire de la stupidité. C’est un changement bienvenu que des personnes étudient à la place le futur de l’intelligence.» Prudent, il estimait que l’intelligence artificielle serait «la pire ou meilleure chose arrivée à l’humanité ». Certes, les dérives nous font peur, mais avons-nous d’autres choix?

Imaginons un avenir où certains problèmes actuels seraient chose du passé : le revenu annuel garanti aura mis fin à la pauvreté; la dénatalité réglera en grande partie les problèmes environnementaux; les religions n’auraient plus leur raison d’être, la peur de la mort ayant été en partie vaincue. Évidemment, cela soulèvera d’autres énigmes et d’autres questionnements, mais débarrassés de l’anxiété primaire causée par la peur d’une mort certaine, les humains, alors dotés d’une intelligence augmentée et avec l’aide incontournable des IA, seront en mesure d’y faire face, beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. Certains penseront que ce serait un avenir idyllique et d’autres, une abomination. Espérons, en tout cas, que nous nous tiendrons loin de ce « paradis » ennuyant et de nature à tous nous abêtir, dont nous parle la Bible. Notre petit coin d’univers fourmillera d’idées nouvelles propres à notre survie.

La « paresse intellectuelle » pouvant survenir si nous nous appuyons constamment sur l’intelligence de nos IA pour la résolution de nos problèmes, des plus communs aux plus difficiles, est très bien décrite dans l’excellent livre de science-fiction « La tentation d’Aladin » de mon ami Léon Ouaknine. Il y a là un danger non négligeable. Mais un autre point de vue estimerait qu’au contraire, nos capacités intellectuelles seraient continuellement en éveil, « booster » par des défis et des solutions enfin réalisables. D’ailleurs, comment pourrait s’éteindre notre « curiosité » alors que nous déplorons tous le peu de temps qu’il nous reste pour acquérir d’autres connaissances, lire d’autres livres, assister à d’autres découvertes, écrire, aimer, etc.

Dans ce monde amélioré, le concept amoureux serait aussi revisité. Autre vie, autres mœurs, dit-on. Les sentiments et les émotions ne disparaitront pas pour autant, mais peut-être deviendront-ils un peu plus « rationnels ». Chacun ayant sa place quelque part, certains préféreront vivre seuls, d’autres auront de multiples passions amoureuses et quelques-uns feront le choix de vivre à deux jusqu’à ce que l’amour s’envole. Qui n’a pas aimé ou cru aimer plusieurs fois dans sa vie ? Ces relations auront sans doute une fin, en psychanalyse ne dit-on pas que « le dévoilement est la fin de la séduction », mais, peut-être survivront-elles, comme cela arrive parfois. La vieillesse ne nous éloigne pas de l’amour, bien au contraire, elle nous laisse espérer beaucoup plus qu’un simple intérêt amoureux.

Reste à savoir si ces rêves seront scientifiquement réalisables, mais devancer le réel, n’est-ce pas l’apanage de beaucoup de questionnements en science-fiction ?

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