Réflexions entre deux passionnés de science-fiction: Léon et moi.
Léon : « Deux problèmes se posent : tout d’abord, contrairement au reste du corps humain, les neurones ne se reproduisent pas ou peu (la neurogenèse continue toute la vie, mais très faiblement) et du coup on n’a encore aucune idée de comment maintenir en bonne fonctionnalité un neurone pendant 150, 200 ou 300 ans. Peut-être est-ce impossible. Ensuite, advenant qu’on y arrive, une longévité de plusieurs siècles correspondrait probablement à la définition de l’enfer. »
Léon : « Il suffit de voir comment avec l’âge, nos facultés mentales et surtout nos dispositions vis-à-vis de l’inconnu se transforment. Mais concédons que nous puissions maintenir le niveau hormonal qu’on a à 18 ans pendant 300 ans. Examinons un instant l’intérêt amoureux. Comment imaginer qu’on puisse avoir la même curiosité et les mêmes désirs après des centaines voire des milliers d’expériences amoureuses. ? Allons plus loin, comment vivre avec la même épouse pendant 200 ans ? Oublions tout ça pour ne considérer que la curiosité intellectuelle; on n’a aucune idée aujourd’hui, comment se comporterait un humain pendant 300 ans; si l’on se fie à la centaine d’années qu’on peut observer chez un humain, on est obligé de conclure que pour qu’un être humain vive correctement pendant 300 ans, il faut l’imaginer profondément transformé à tout point de vue et plus encore au niveau de son fonctionnement cortical. »
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Danielle: Les études récentes sur la longévité humaine ne sont pas aussi sombres que l’on veut bien nous le laisser croire. Certaines la fixent à 150 ans, en prenant en compte le niveau de stress, le mode de vie, les maladies et la résilience, d’autres excluent même le principe d’une limite. Nos réflexions devraient être basées sur des données factuelles, mais seulement pour l’exercice et le plaisir, allons un peu plus loin. Imaginons un instant ce que pourrait devenir l’être humain si nous vivions quelques centaines d’années de plus. Imaginons celui-ci « transformé à tout point de vue ».
Pourquoi serait-il si effrayant de nous voir telles que nous sommes en réalité: une étonnante « machine » dotée d’une « intelligence du corps » qui nous singularise, malheureusement « limitée par une lente évolution biologique», se désolait le célèbre astrophysicien Steven Hawkins, mais réparable et améliorable, au gré des avancées scientifiques. Selon les derniers résultats des recherches qui se font au Laboratoire du vieillissement cognitif de l’université de Genève, l’humain aurait, contrairement à ce que l’on pensait d’abord, «la capacité à s’appuyer sur son expérience, ses compétences et ses connaissances. Dans un cerveau qui n’est pas malade, ce type d’intelligence augmente progressivement avec l’âge et reste stable pendant longtemps, pour ne décliner qu’à la fin de la vie.» Or, cette vie, nous y tenons. Confronté à cette question, mon ami philosophe, Bernard La Rivière, répondait spontanément: « La mort, je suis contre !». Bien sûr, ce n’était qu’une boutade, mais notre incapacité à prolonger cette vie aussi rapidement que nous l’espérons, demeure pour l’instant, une évidence accablante : notre corps et notre cerveau dépérissent honteusement alors que les solutions se trouveraient peut-être dans le cerveau d’une intelligence artificielle. Notre lenteur pour apprivoiser l’inconnu pourrait causer notre perte. Pourquoi pensez-vous, mettons-nous autant l’accent sur l’intelligence artificielle si ce n’est par besoin d’améliorer nos propres lacunes ? C’est assez troublant d’ailleurs : nous créons des IA afin qu’elles nous aident à régler des problèmes insolubles, souvent même inconnus, notre cerveau n’ayant pas la capacité d’emmagasiner et d’analyser les masses de données nécessaires qui nous permettrait de survivre en tant qu’humain et en tant qu’espèce, et certains se rebiffent, craignant par-dessus tout que celles-ci nous surpassent. Les IA auront, sans aucun doute, les facultés d’anticiper différents scénarios et de proposer des solutions jusque là ignorées, mais elles n’auront pas nos désirs, nos émotions, nos expériences sensitives, nos intuitions fulgurantes, notre folie créatrice. Hawkins déclara un jour avec humour : « Nous passons beaucoup de temps à étudier l’histoire, à savoir, admettons-le, principalement l’histoire de la stupidité. C’est un changement bienvenu que des personnes étudient à la place le futur de l’intelligence.» Prudent, il estimait que l’intelligence artificielle serait «la pire ou meilleure chose arrivée à l’humanité ». Certes, les dérives nous font peur, mais avons-nous d’autres choix?
Imaginons un avenir où certains problèmes actuels seraient chose du passé : le revenu annuel garanti aura mis fin à la pauvreté; la dénatalité réglera en grande partie les problèmes environnementaux; les religions n’auraient plus leur raison d’être, la peur de la mort ayant été en partie vaincue. Évidemment, cela soulèvera d’autres énigmes et d’autres questionnements, mais débarrassés de l’anxiété primaire causée par la peur d’une mort certaine, les humains, alors dotés d’une intelligence augmentée et avec l’aide incontournable des IA, seront en mesure d’y faire face, beaucoup plus rapidement qu’aujourd’hui. Certains penseront que ce serait un avenir idyllique et d’autres, une abomination. Espérons, en tout cas, que nous nous tiendrons loin de ce « paradis » ennuyant et de nature à tous nous abêtir, dont nous parle la Bible. Notre petit coin d’univers fourmillera d’idées nouvelles propres à notre survie.
La « paresse intellectuelle » pouvant survenir si nous nous appuyons constamment sur l’intelligence de nos IA pour la résolution de nos problèmes, des plus communs aux plus difficiles, est très bien décrite dans l’excellent livre de science-fiction « La tentation d’Aladin » de mon ami Léon Ouaknine. Il y a là un danger non négligeable. Mais un autre point de vue estimerait qu’au contraire, nos capacités intellectuelles seraient continuellement en éveil, « booster » par des défis et des solutions enfin réalisables. D’ailleurs, comment pourrait s’éteindre notre « curiosité » alors que nous déplorons tous le peu de temps qu’il nous reste pour acquérir d’autres connaissances, lire d’autres livres, assister à d’autres découvertes, écrire, aimer, etc.
Dans ce monde amélioré, le concept amoureux serait aussi revisité. Autre vie, autres mœurs, dit-on. Les sentiments et les émotions ne disparaitront pas pour autant, mais peut-être deviendront-ils un peu plus « rationnels ». Chacun ayant sa place quelque part, certains préféreront vivre seuls, d’autres auront de multiples passions amoureuses et quelques-uns feront le choix de vivre à deux jusqu’à ce que l’amour s’envole. Qui n’a pas aimé ou cru aimer plusieurs fois dans sa vie ? Ces relations auront sans doute une fin, en psychanalyse ne dit-on pas que « le dévoilement est la fin de la séduction », mais, peut-être survivront-elles, comme cela arrive parfois. La vieillesse ne nous éloigne pas de l’amour, bien au contraire, elle nous laisse espérer beaucoup plus qu’un simple intérêt amoureux.
Reste à savoir si ces rêves seront scientifiquement réalisables, mais devancer le réel, n’est-ce pas l’apanage de beaucoup de questionnements en science-fiction ?
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