Mois : novembre 2021

Ni d’ici ni d’ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi.

de Léon Ouaknine

J’ai connu Léon Ouaknine, il y a à peine quelques mois, lorsqu’il m’a proposé la lecture de son manuscrit de science-fiction « La tentation d’Aladin » qui sortira prochainement. En le lisant, je pris immédiatement conscience que cet homme possédait une immense culture, littéraire, philosophique et scientifique. Enthousiaste, je me suis plongée totalement dans un roman qui fait réfléchir; une science-fiction philosophique, du genre  « Le meilleur des mondes » de Aldous Huxley. La plume de Léon est d’une grande qualité littéraire, doublée d’une analyse philosophique exceptionnelle. À l’époque, je ne connaissais pas son histoire familiale ni son parcours professionnel atypique.

C’est en lisant « Ni d’ici ni d’ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi », que j’ai appris à mieux connaître mon nouvel ami. Son autobiographie se lit comme un roman. Je dois avouer que j’ai été agréablement surprise par la qualité de sa narration, alternant souvenirs et réflexions. Léon ne raconte pas seulement sa vie, à travers des épisodes et des anecdotes, il l’analyse aussi. Né d’une famille juive marocaine, « rigide et limitée« , écrit-il, Léon porte un regard aigu et sans complaisance sur son enfance. En 1947, alors qu’il avait 5 ans, la famille quitta Casablanca pour Israël, « un pays qui n’existait pas encore » et où ils demeurèrent à peine 19 mois, « se retrouvant seuls pour affronter la discrimination à l’encontre des mizrahi« . Son père décida alors d’aller vivre en France. La France, pays de liberté, ouvrit « les portes des Lumières » au jeune Léon.  Athée convaincu, il deviendra un « enfant des lumières« , mais demeurera toute sa vie, « divisé entre deux mondes » : juif et français.

« Ce n’est que des années plus tard que je réalisai que mes parents n’avaient qu’une part de responsabilité dans mon incapacité à être bien dans ma peau ; qu’une deuxième part était imputable aux autres cartes qu’on m’avait distribuées à la naissance, entre autres, ma génétique et qu’une troisième part, circonstancielle, fut le fait d’avoir été élevé en France, plutôt qu’au Maroc ou en Israël. La conjonction de ces trois aléas fut déterminante quant à ma vision du monde, de ma façon de penser et d’agir. J’étais français sans l’être vraiment, juif sans l’être vraiment et pourtant j’étais intensément français et intensément juif. Écartelé, je choisis d’être en même temps juif et enfant des Lumières, en pressentant et en acceptant que je ne serais jamais tout à fait à ma place, nulle part. » 

Les pans de sa vie qu’il relate souvent avec tristesse et parfois même avec morosité, nous dévoilent de nombreux souvenirs de lui et de ses proches, liés à son enfance. Les années qu’il passa en France lui firent découvrir « l’immense distance entre la façon insulaire et craintive de vivre de mes parents et l’exubérance du monde que je découvrais.« 

Léon arriva à Montréal en juillet 1968, à l’âge de 26 ans, « avec un visa de touriste et 70$ en poche pour tout viatique« .  Sa carrière nous en apprend beaucoup sur les communautés juives de Montréal, leurs services sociaux et de santé, leur philanthropie, les frictions linguistiques entre ashkénazes et séfarades, le début des CLSC, le premier Institut universitaire de gérontologie sociale et bien d’autres projets dont cet homme infatigable fut le créateur, le directeur et le promoteur. Il fut également un « observateur attentif » d’un Québec « en pleine affirmation identitaire« , qui devait « protéger sa culture et sa langue, alors que la communauté juive anglophone craignait, par-dessus tout, de voir un groupe ethnique confisquer le pouvoir, et peut-être faire éclater le Canada« . Quel plaisir ce fut d’apprendre qu’il s’opposa fortement et publiquement au « brulôt » anti-québécois francophones de Mordecai Richler. Sans hésiter, je dirais que « Ni d’ici ni d’ailleurs » devrait faire partie des livres d’Histoires du Québec et de Montréal.

« Ni d’ici ni d’ailleurs. Le Québec, les Juifs et moi », de Léon Ouaknine est une autobiographie iconoclaste écrite avec franchise et rigueur. Son identité, ses convictions personnelles, sa vision du monde, sa grande sensibilité, si bien exprimée à travers ses mots, nous convient à une lecture passionnante et enrichissante.

« Quoi qu’on fasse, l’identité n’est pas un simple masque qu’on endosse en sortant de chez soi, c’est une dimension inhérente au cerveau primitif, une propriété émergente de l’être, issue de processus mentaux, mais fondamentalement hors de portée des prescriptions de la raison. » 

Mon compagnon de vie

Son départ m’a plongée dans une affliction si intense, qu’il m’a fallu 6 mois avant de le partager sur ce blogue. Voici ce que j’ai écrit au lendemain de son décès:

Le 10 mai 2021

Mon grand amour nous a quittées hier soir. Il est décédé à la maison, dans son lit, dans mes bras et dans les bras de France, sa fille chérie. Ses souffrances n’auront duré que quelques instants. Il est parti comme il le souhaitait, sans acharnements thérapeutiques.

Roger était un athée convaincu et un grand humaniste. Il a fait des études en philosophie et a été l’un des cofondateurs de la Libre Pensée québécoise, un fait ignoré par plusieurs qui le connaissait pourtant bien. Il a été l’un des conférenciers de la Libre Pensée québécoise, au congrès des humanistes d’Amérique du Nord en juin 1987 à Montréal. Il a aussi écrit plusieurs textes et éditoriaux dans la revue de la Libre Pensée. L’un de ses articles au sujet de l’écologie avait même attiré l’attention d’Henri Laborit. Il en était très fier. Nous partagions avec bonheur nos pensées philosophiques, notre amour des livres et nos luttes pour l’indépendance, la laïcité et le féminisme.

C’était un homme d’exception, un être généreux, ouvert, sociable, réaliste, spontané, attentif aux autres, protecteur, fier et toujours calme… Un artisan doué. Un excellent cuisinier. Il aimait la vie et le monde l’aimait. Il m’avait choisi, moi, sa reine, sa chérie, sa compagne.

Un jour, mon amie Monique me disait qu’il m’avait beaucoup gâtée. En réalité, il m’a beaucoup aimée. Et je porterai toujours fièrement son amour dans mon cœur.

Je penserai toujours à lui en lisant un bon livre, en arrosant mes plantes ou en fumant mon joint….

Il me manquera toujours.

Les accusateurs publics

Les wokes et leurs accusations d’appropriation me lève le cœur. En s’en prenant ainsi à la réalité, ils vont bientôt se retrouver dans un monde chimérique, fat, sans surprises et sans créations, dépourvu de toutes aspérités. Un monde lisse et défensif. Aujourd’hui, certains artistes et humoristes y pensent par deux fois, avant de se produire. Les écrivains s’autocensurent, les sculpteurs, les peintres se demandent si leurs œuvres auront l' »imprimatur »de cette caste frileuse et destructrice. C’est incroyable le contrôle qu’ils se donnent ! Une lutte sans merci est engagée entre les tenants de la liberté d’expression et ceux de la réprobation publique. Qui vaincra ? C’est trop tôt pour le dire, mais notre bataille devra être méthodique et efficace, car ces wokes sont aux portes du pouvoir. 😠

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